Les Yéniches, des étrangers bien de chez nous
« Gitans », « vanniers », « Tsiganes blonds » : les mots ne manquent pas pour décrire les Yéniches, cette mystérieuse population installée principalement dans l'espace germanique. Sauf qu’ils ne sont ni gitans ni Tsiganes, et des vanniers actifs, de nos jours, on n'en trouve peu parmi eux.
C'est parce qu'ils ont longtemps exercé le travail de vannier, comme beaucoup de gens du voyage, qu'aujourd'hui encore on les désigne par ce terme.
D’où viennent les Yéniches ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre, et eux-mêmes ne le savent pas vraiment. « L’histoire ancienne des Yéniches n’est guère documentée et se prête donc à toutes les spéculations et controverses », explique Christian Bader dans son livre, Yéniches, les derniers nomades d’Europe (L'Harmattan, 2007). Une des principales hypothèses consiste à dire que cette population trouve son origine dans le chaos de la Guerre de Trente ans. Des familles auraient fui les combats et les destructions, et se seraient retrouvées sur les routes, nomades et en marge de la société.
Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne sont pas originaires de l'Inde, à la différence des Roms, Manouches, gitans et Sinti, auxquels ils sont souvent assimilés, à tort. D’ailleurs, les Yéniches et les autres ne s’entendent pas forcément bien. Globalement, les Manouches-Tsiganes reprochent aux Yéniches de manquer de culture, de valeurs et de savoir-vivre. Ils considèrent souvent les vanniers comme des vagabonds et des délinquants. Ils les appellent parfois péjorativement « bengalé », les habités par le diable. Dans son ouvrage Les Tsiganes Manouches (M.-P. Dollé, 1980), Marie-Paul Dollé relate une surprenante rixe survenue à Scherrwiller en 1954. Des vanniers avaient forcé un Manouche à manger du chien, du chat ou du hérisson - animaux longtemps appréciés par les Yéniches – ce qui avait mis le feu aux poudres.
Vers la sédentarisation
Les Yéniches sont plus un groupe social qu’une ethnie. Ils possèdent néanmoins des traditions transmises de génération en génération: habitude de faire beaucoup d'enfants, pratique du mariage endogame, tatouages, usage de la serpette, rapport particulier à la nature, au catholicisme et à l'alcool...
Leur langue, d'origine germanique, qui est plus un sociolecte (langage d'un groupe social) selon des spécialistes, leur aura longtemps servi de code secret. Globalement, les Yéniches adaptent leur parler à la langue des régions ainsi que des pays dans lesquels ils vivent. En Alsace, par exemple, le yéniche est aujourd'hui une variante légèrement modifiée du dialecte alsacien ; enrichie d'un vocabulaire typiquement yéniche ainsi que des mots empruntés à la communauté tsigane. On y trouve aussi des hébraïsmes, raison pour laquelle certains prétendent que les Yéniches sont d’origines juives, hypothèse peu probable.
Rejetés par la société, ils vivent souvent en clan à la périphérie des villes ou en bordure des villages – ou se sont-ils eux-mêmes mis à l'écart ? La plupart des Yéniches, qui ont très longtemps vécu sous tentes dans les bois, se sont progressivement sédentarisés, ce qui ne les empêche pas de reprendre la route, afin d'exercer des travaux agricoles ou par atavisme.
La scolarisation des enfants est une autre transformation récente de poids. Elle sort petit à petit les Yéniches de l’illettrisme. Ce processus exige des gros efforts de tous. « C'était très difficile de les faire rentrer dans une salle de classe, on les faisait rentrer par la porte, ils sortaient par la fenêtre », raconte Rémy Welchinger, ethnologue et ancien instituteur.
Une histoire marquée par le rejet
On ne compte pas les personnes d'origine yéniche qui sont intégrés dans leur pays respectifs. Pour ne citer que des personnes célèbres, évoquons le Strasbourgeois François Remetter – ancien gardien de but de l'équipe de France -, le chanteur suisse, Stephan Eicher, ou le footballeur néerlandais Rafael van der Vaart.
Néanmoins, le statut de paria, l'hostilité, les discriminations sont des fils rouges qui traversent l'histoire des vanniers. Pendant la Deuxième guerre mondiale, ils furent persécutés comme les Tsiganes. Les nazis avaient même élaboré une théorie où il distinguaient positivement les Tsiganes “purs” des “métis Tsiganes” et des Yéniches. Pour le théoricien national socialiste Robert Ritter, il n'était « pas souhaitable, du point de vue de la génétique raciale, que des vagabonds yéniches dégénérés aient une descendance. » De fait, les stérilisations forcées, furent, aux côtés des internements et de la destruction de familles entières, une des atrocités dont ont souffert les Yéniches entre 1933 et 1945.
Par ailleurs, en Suisse, les Yéniches furent au centre d'un immense scandale national. De 1926 à 1973, la fondation Pro Juventus enlevait des enfants yéniches à leurs parents pour les acculturer via l’opération “Enfants de la grande route”. 600 enfants ont été enlevés pendant cette période, placés dans des familles d’accueil, des homes ou des orphelinats. La Suisse a présenté des excuses officielles en 1987. Onze ans plus tard, la Confédération helvétique devient le premier pays à reconnaître la minorité et la langue yéniches.
Aujourd’hui, les Yéniches sont majoritairement installés en Allemagne, en Suisse alémanique, en Autriche, dans le Tyrol italien, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas et en France, notamment en Alsace. Il est très difficile de se faire une idée de leur nombre, d'autant que la question « qui est Yéniche ? » n'a pas de réponse simple.
Kerstin Simone Acker
