Titre reportage

/ Mareike Artlich / DR

Pression foncière, tailles des exploitations, conflits de générations... Les obstacles à l'installation sont nombreux dans beaucoup de pays européens.

Jeune agriculteur cherche ferme désespérément

En Allemagne, beaucoup de jeunes agriculteurs cherchent à s’installer, mais les exploitations disponibles sont de plus en plus rares.

C’est le problème numéro un des jeunes agriculteurs allemands : le nombre de terres cultivables disponibles ne cesse de se réduire. Très difficile, pour eux, de lancer leur propre exploitation. C’est notamment le cas dans le Bade-Wurtemberg, au sud de l’Allemagne, où les fermes à reprendre sont rares. Par exemple, à Fribourg-en-Brisgau, le nombre d´habitants augmente depuis plusieurs années et, pour faire face à la pénurie de logements, des immeubles d'habitations sont construits sur des terrains auparavant dédiés à l’agriculture. Voulu par la mairie, le projet de nouveau quartier Dietenbach pourrait encore réduire les terres disponibles. La décision désole Mareike Artlich, 25 ans, agricultrice en formation dans la région. « La construction des logements est importante, mais il faut aussi penser à l’avenir, déplore la jeune femme. Une fois les maisons construites, le sol ne sera plus utilisable pour les prochaines générations d’agriculteurs. Il va disparaître. »

Dans la même région, Katharina Dunkel, 32 ans, a été confrontée à une autre difficulté lorsqu’elle cherchait une ferme, en septembre dernier. « Parmi le peu d’exploitations qui sont mises en vente, beaucoup sont situées sur des terrains difficiles, par exemple dans les régions montagneuses, explique-t-elle. La culture de la terre n’y est parfois même pas permise, à cause de l’altitude. » En plaine, rares sont les fermes qui se libèrent car un grand nombre d’agriculteurs refuse de se retirer, même après 60 ans. Une décision qui s’explique notamment par la crainte de ne pas avoir des revenus suffisants, une fois leur activité interrompue.

J’aspire à avoir ma propre ferme et à être autonome.

Mareike Artlich, jeune agricultrice, est à la recherche d'une ferme. / Stefanie Ludwig

Le manque du terrain n’est pas le seul obstacle auquel doivent faire face les futurs exploitants. Car même lorsqu’un jeune agriculteur parvient à trouver une ferme disponible, la partie n’est pas pour autant terminée. « Très souvent, les exploitations ne sont pas mises en vente mais louées sur plusieurs années, détaille Mareike Artlich. Pour ma part, il est hors de question d’adopter cette solution. J’aurais trop peur qu’après un an, le prix augmente et que tout ce que j’aurais réalisé entre temps ait été fait en vain. J’aspire à avoir ma propre ferme et à être autonome. »

Autre cas de figure : « Souvent on remarque que le propriétaire n’est pas vraiment prêt à passer le relais, poursuit Mareike Artlich. Certains ne supportent pas l’idée de donner l’œuvre de toute une vie à quelqu’un qui ne fait pas partie de la famille. Souvent, ils sont aussi déçus de ne pas pouvoir transmettre leur ferme à leurs enfants. » Résultat : leur présence s’impose aux jeunes exploitants qui ont repris leur ferme. « Même lorsque l’entreprise est définitivement vendue, certains agriculteurs continuent à donner des conseils à leur successeur. D’autres demandent à pouvoir rester dans leur maison. C’est compréhensible, mais parfois difficile à accepter pour les jeunes agriculteurs. »

Pour éviter ces situations épineuses, une entreprise propose depuis 2011 de mettre en relation, par le biais de petites annonces en ligne, vendeurs et futurs paysans. « Il est très important que les personnes qui veulent céder leurs exploitations décrivent précisément ce qu’elles attendent de leurs successeurs, et inversement, explique Viktoria Winter, directrice de ce projet, pour la Landsiedlung, installée à Stuttgart. Nous pouvons ainsi sélectionner des candidats, et les mettre en contact avec des vendeurs, en fixant avec eux un rendez-vous sur l’exploitation », poursuit-elle. Elle affirme qu’avec ce système, les conflits entre jeunes et anciens seraient beaucoup plus rares. En 2018, le site a permis de vendre onze exploitations de 15 hectares en moyenne. Un chiffre en augmentation.

Si la Landsiedlung met uniquement en relation des exploitants du Bade-Wurtemberg, d’autres entreprises, comme Hofgesucht.de, proposent de servir d’intermédiaire dans toute l’Allemagne. Dans l’Est du pays un grand nombre d’exploitations moins chères que leurs équivalentes du Sud-Ouest, attendent d’être reprises. De quoi pousser les jeunes à s’installer ailleurs, comme Mareike Artlich. « Pour moi, c’est une option. Dans ma recherche d’exploitation, je ne me concentre pas sur une région. Je m’imaginerais bien lancer une entreprise à l’Est de l’Allemagne, voire à l’étranger. Le plus important pour moi, c’est de reprendre une entreprise qui corresponde à mes idées et mes convictions. »

Stefanie Ludwig, à Fribourg-en-Brisgau

Jeunes agriculteurs, cinq étapes pour vous installer

  1. Consultez le « Point accueil installation » de votre département. L’équipe vous proposera un plan professionnel personnalisé, qui permet d’acquérir les bagages nécessaires pour se lancer dans une exploitation agricole.
  2. Prenez rendez-vous avec un conseiller d’entreprise. Il vous orientera sur votre projet et votre formation. Même si vous avez fait des études agricoles, il faut effectuer des stages pour compléter vos connaissances et vous spécialiser.
  3. Mettez en place un plan d’entreprise. C’est en quelque sorte la « feuille de route » du projet, qui s’étale sur quatre ans. Pour toucher les aides à l’installation, celui-ci doit vous permettre de gagner entre un et trois SMIC par mois.
  4. Faites une demande d’aide. Vous pouvez vous installer et toucher une Dotation jeunes agriculteurs (DJA). Le montant de cette aide varie selon les zones d’installation. Plaine, zone défavorisées ou montagne ; la dotation peut aller de 10 000 à 36 000 euros. Elle vous permet également de bénéficier d’une exonération fiscale et sociale dégressive.
  5. Tenez vos engagements. En contrepartie de cette aide, vous devez rester chef d’exploitation, tenir une comptabilité, et mettre en œuvre votre plan d’entreprise.

Clémentine Rigot

Les jeunes agriculteurs appellent à « stopper l’hémorragie »

La reprise des exploitations agricoles par les jeunes de moins de 40 ans se heurte à des prix trop élevés et un manque d’accès aux terres.

C’est un métier qui vieillit. L’agriculture peine à recruter assez de jeunes pour compenser les départs à la retraite. En 2016, presque un tiers des chefs d’exploitations agricoles des pays de l’Union européenne étaient âgés de 65 ans ou plus. En comparaison, la France fait presque figure de bonne élève puisque les plus de 65 ans n’y représentent que 15 % des dirigeants agricoles. Pourtant, la question du renouvellement des générations inquiète les producteurs français. Si la situation dans l’Hexagone ne figure pas parmi les plus difficiles d’Europe, l’âge moyen des chefs d’exploitations français atteignait tout de même 51 ans en 2013. Principaux freins à l’installation des jeunes : le prix des exploitations et le manque de terres disponibles.

Pression foncière

Pour Quentin Le Guillous, représentant des Jeunes Agriculteurs, la PAC est devenue obsolète et devrait être entièrement refondue. Coralie Haenel

En Île-de-France, comme dans d’autres régions fortement urbanisées, le manque d’accès aux terres s’explique principalement par la pression foncière. Lorsqu’un agriculteur décide de cesser son activité, il lui est bien plus rentable de vendre à un promoteur immobilier plutôt que de transmettre son exploitation à un jeune. « Il est impossible pour un jeune qui souhaite s’installer de concurrencer les promoteurs qui offrent des sommes très importantes, explique Quentin Le Guillous, représentant du syndicat Jeunes Agriculteurs de Houdan, dans les Yvelines. C’est une conséquence de l’extension urbaine de Paris. »

Les jeunes sont aussi confrontés à la concurrence des agriculteurs déjà installés qui souhaitent agrandir leur exploitation. « On tourne en rond, déplore Quentin Le Guillous. Beaucoup d’exploitants ressentent le besoin de s’agrandir pour mieux vivre. Mais, en fin de carrière, il devient difficile de céder à un jeune car aucun n’a les moyens de reprendre d’un coup plusieurs centaines d’hectares. »

D’autant plus qu’il arrive souvent que les agriculteurs cédant leur exploitation fixent un prix de reprise bien supérieur à la valeur réelle de leur entreprise. Si cette tendance complique fortement la transmission des terres, Quentin Le Guillous se montre compréhensif : « Après 50 ans d’investissement et de travail difficile, ils veulent retirer le plus possible de la vente pour atteindre un niveau de vie correct. » Pour inciter les vendeurs à baisser leur prix, le syndicat Jeunes Agriculteurs suggère d’augmenter le montant des retraites agricoles.

« Financer les hommes, pas les hectares »

Une partie des aides versées aux agriculteurs par la Politique agricole commune (PAC) dépend directement du nombre d’hectares de leur exploitation. Plus ils possèdent d’hectares, plus ils touchent d’aides. Ce système n’encourage pas l’installation de nouveaux producteurs puisqu’il incite les exploitants déjà en place à s’agrandir. « Il faut financer les hommes, pas les hectares », argue Julien Caillard, chargé du dossier PAC pour le syndicat Jeunes Agriculteurs. Son organisation souhaite qu’un nouveau type d’aides se développe : les aides à l’actif. Celles-ci seraient versées en fonction du nombre de travailleurs actifs dans chaque exploitation.

Pour le moment, le syndicaliste ne se satisfait pas de la proposition de la Commission européenne pour la future réforme de la PAC, même si le renouvellement des générations d’agriculteurs fait partie des objectifs de Bruxelles. « Nous saluons cet objectif mais nous voyons mal comment il pourrait être atteint avec un budget en baisse et sans outils nouveaux », estime-t-il. Face à la diminution continue du nombre d’agriculteurs français, Julien Caillard appelle les pouvoirs publics à « stopper l’hémorragie ». Pour lui, l’idéal serait d’atteindre un ratio d’une installation pour chaque départ à la retraite. Aujourd’hui en France, seul un cédant sur trois est remplacé par un jeune.

Coralie Haenel, à Paris

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