Titre reportage

L’Europe en a fait son cheval de bataille. L’agriculture de demain devra être plus respectueuse de l’environnement. Un casse-tête pour les agriculteurs habitués à produire à grande échelle.

“Il faut réorganiser la répartition des animaux en France“

Championne de France de production porcine, la Bretagne compte plus de 5000 élevages sur son territoire. Pour Estelle Le Guern, chargée de mission agriculture au sein de l’association Eau & Rivières de Bretagne, cette concentration n’est pas sans conséquence sur l’environnement.

DR

  • Quelle est la conséquence de la production porcine sur l’environnement en Bretagne ?
  • La Bretagne ne représente que 6% de la surface agricole utile de la France et pourtant on y produit 58% des cochons français. La concentration est énorme. Ce qui est problématique pour l’épandage des déjections de ces animaux. Celles-ci sont composées d’azote, sous forme de nitrates, qui infiltre les cours d’eau et pollue jusqu’à la mer. Ces composants alimentent ensuite les algues vertes et participent à leur développement dans les baies. Aujourd’hui, en Bretagne, 133 sites sont concernés par cette prolifération.
  • Quelles conséquences ont ces nitrates sur la vie de la population bretonne ?
  • L’absence de grande nappes phréatiques en Bretagne nous oblige à pomper l’eau dans les rivières. Or, avec les nitrates, celle-ci devient impropre à la consommation. Cela perturbe également toute la faune et la flore. Plusieurs études montrent que la consommation de cette eau polluée affecte la santé des nourrissons. Les adultes peuvent, quant à eux, souffrir de problèmes rénaux. Enfin, les algues vertes peuvent avoir des conséquences encore plus graves, si elles s’accumulent, se dessèchent et fermentent sur les plages, elles rejettent un hydrogène sulfuré mortel. En 2009, un cavalier et son cheval se sont enlisés, l’animal est mort en une minute.
  • Est-il possible de conserver ce modèle productiviste et de polluer moins ?
  • Il paraît difficile de polluer moins sans réduire les cheptels. Il faut réorganiser la répartition des animaux en France. Il n’est plus possible de produire autant d’animaux sur un territoire aussi petit. Pourtant, aujourd’hui, les agriculteurs sont incités à agrandir leur exploitations pour s’en sortir financièrement. En Bretagne, le modèle familial domine toujours, mais on se dirige vers la reprise des fermes par des grandes entreprises. Les agriculteurs ne sont pas les seuls responsables de la pollution. C’est la conséquence d’une histoire. Le marché économique et les politiques les ont incités à produire dans ce sens. Le modèle industriel a été conçu pour diminuer la main d’œuvre au maximum, tandis que élevages plus petits permettent d’embaucher plus, car le travail des terres est moins mécanisé.
  • La PAC aide-t-elle les agriculteurs à réduire leur impact écologique ?
  • La dernière réforme de la PAC, mise en œuvre à partir de 2015, prévoit la mise en place de mesures vertes, mais ce n’est pas assez ambitieux. Par exemple, les agriculteurs sont censés alterner les cultures, mais en réalité ils peuvent cultiver trois types de maïs différents à la suite. Ces mesures ne sont pas assez incitatives et favorisent le maintien d’une agriculture conventionnelle. Il existe des aides financières pour les éleveurs souhaitant orienter leur mode de production vers l’agriculture raisonnée, mais seulement sur la base du volontariat. Peu d’éleveurs porcins ont franchi le pas. En cause : des aides peu attractives ou nécessitant une réduction des pesticides trop importante. Il faudrait aller plus loin, avec plus de moyens pour réellement développer une agriculture respectueuse de l’environnement.

Propos recueillis par Sophie Bardin, Tifenn Clinkemaillié et Blandine D'alena, en Bretagne

L’élevage sur paille, un modèle plus respectueux de l’environnement

Pas de caillebotis dans la porcherie d’Yves Le Borgne à Lopérec, dans le Finistère. Ses 200 cochons sont élevés sur paille, un système à mi-chemin entre l’élevage conventionnel et le biologique. L’agriculteur breton s’est détourné du modèle industriel pour s’orienter vers ce mode de production plus rémunérateur et respectueux de l’environnement. “Le fumier est sous forme solide, contrairement au lisier, il ruisselle donc moins facilement vers les rivières” , explique-t-il. L’éleveur, qui transforme et vend ses produits sur place, n’a jamais cherché à agrandir son exploitation de 25 hectares. “C’est la qualité du produit qui m’importe avant tout. Ce modèle peut se développer si le consommateur suit. C’est lui qui donne le tempo à l’agriculture” . / Blandine D'alena

“L’agriculture biologique consomme autant d’énergie”

Alfred Klinghammer est animateur du plan Ecophyto à la Chambre d’agriculture d’Alsace. Il estime que sensibiliser les agriculteurs aux questions environnementales est important, mais que l’enjeu principal est de maintenir une agriculture économiquement performante.

  • Quelles actions mettez-vous en place pour inciter les agriculteurs à réduire l’usage des produits phytosanitaires ?
  • A la Chambre d’agriculture d’Alsace, nous animons le plan Ecophyto. C’est une initiative lancée en 2008 à la suite du Grenelle de l’environnement qui a pour but de réduire progressivement l’utilisation des pesticides en France. Il se décline en deux axes principaux. Le premier est la surveillance biologique du territoire. C’est un diagnostic sanitaire des cultures pour avertir les agriculteurs d’un risque de maladie et pour les conseiller s’il est nécessaire de traiter avec des produits phytosanitaires. Nous veillons aussi à mettre en avant les méthodes de lutte alternatives quand elles existent. Le deuxième axe, c’est le réseau DEPHY (Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires). Il s’agit de groupes d’une quinzaine d’exploitations agricoles, avec un animateur missionné par la Chambre d’agriculture, qui travaillent à la réduction des produits phytosanitaires. En Alsace, six groupes de ce type existent. La Chambre d’Agriculture diffuse les résultats du réseau pour sensibiliser un maximum d’agriculteurs et les inciter à suivre les mêmes méthodes.
  • Que pensez-vous du « verdissement » promu par la PAC ?
  • Le verdissement oblige les agriculteurs à disposer au minimum trois cultures différentes pour éviter les monocultures. En Alsace, le maïs est la culture majoritaire mais c’est l’une des céréales qui nécessite le moins de produits phytosanitaires donc le problème n’est pas réglé. Au contraire, si on remplaçait le maïs par du colza ou des betteraves, on utiliserait davantage de matières phytosanitaires. Par ailleurs, si la diversification permet de diminuer l’usage d’intrants chimiques il faut aussi trouver un acheteur pour ces nouvelles cultures.
  • Le bio peut-il être une solution pour les agriculteurs ?
  • L’agriculture biologique est intéressante mais elle consomme autant d’énergie pour faire fonctionner les outils mécaniques. Si un agriculteur travaille mécaniquement au lieu d’utiliser des produits chimiques, il y a aussi un impact écologique et cela prend plus de temps. L’agriculteur biologique vend ses produits à un prix plus élevé donc c’est intéressant pour lui. Mais le problème c’est que les autres pratiques ne sont pas assez valorisées. Par exemple, les exploitants des fermes du réseau DEPHY qui réduisent de 20 à 30 % l’usage des produits phytosanitaires vendent leur production au même prix que les producteurs classiques. Les agriculteurs se sont toujours adaptés mais en Alsace il n’est pas sûr que l’usage des produits phytosanitaires soit réduit. Il est intéressant de diversifier les cultures mais on ne fait que déplacer le problème.
  • Les agriculteurs sont-ils prêts à réduire l’usage de produits phytosanitaires ?
  • Ils sont confrontés à un problème de gestion des aléas. S’ils ne veulent pas prendre de risques, ils vont traiter leurs cultures. Utiliser une méthode alternative peut très bien marcher mais ils mettent leurs productions en jeu. Il y a quelques années, un de mes collègues avait conseillé à un agriculteur de ne pas traiter. La première année, ce dernier avait économisé de l’argent en n’utilisant pas de produits chimiques. Mais l’année d’après, il n’avait pas voulu continuer ainsi. La raison ? Il ne dormait pas la nuit parce que ça l’inquiétait trop de mettre en péril sa culture. Pour répondre à ces craintes, il faudrait valoriser les producteurs qui essayent d’utiliser moins d’intrants chimiques sans basculer pour autant vers le bio.

Propos recueillis par Maxence Gil, en Alsace

La mobilisation des pouvoirs publics contre les algues vertes

55,5 millions d’euros. C’est la somme consacrée à l’acte II du plan de lutte contre la prolifération des algues vertes en Bretagne, lancé il y a un an par le gouvernement. Il succède à un premier programme mis en place en 2010. Si l’Etat finance la moitié du nouveau plan, la région Bretagne a également mis la main au porte-monnaie : 11, 8 millions d’euros investis. Le département du Finistère, qui participe à hauteur de 1,2 million d’euros, finance par exemple des études de terrain au sein des exploitations agricoles. « Le but, c’est de permettre aux exploitants de mieux connaître leur situation et de leur donner des conseils pour épandre moins d’azote » , explique Michaël Quernez, premier vice-président (PS) du Conseil départemental du Finistère et maire de Quimperlé.

Maxence Gil, en Alsace

Boutton pour remonter en haut de la page