Titre reportage

/ Boris Granger

Loin des logiques productivistes des plaines céréalières, l'agriculture de montagne joue un rôle indispensable dans l'entretien des territoires. Moins rentable, sa survie dépend des subventions.

L'éleveur au cœur du village

Depuis plus de vingt ans, Jean-François Huckert et son troupeau assument un rôle économique, touristique et écologique, essentiel à la bonne santé du village de Grendelbruch.

Bonnet vissé sur la tête, moustache généreuse et mains puissantes, Jean-François Huckert est l'un des deux éleveurs de la petite commune de Grendelbruch en Alsace. Située en bordure du massif des Vosges, au cœur d'un vallon entouré de pins sylvestres, son exploitation comprend quatre bâtiments qu'il a lui-même construits en tôle et en bois au fil des années. Son cheptel, qui totalise quelque 80 vaches Salers, brunes aux longues cornes pointues, et 40 chèvres, renvoie à l'image typique d'un village de montagne, bercé par les cloches des bovins et les transhumances printanières. Mais on aurait tort de s'arrêter à ce cliché enchanteur.

Un travail d'utilité publique

Car le troupeau de Jean-François Huckert contribue plus largement à l'intérêt général de tout un territoire. Dans ces montagnes, ses bêtes assument un rôle de paysagiste. « Pendant de nombreuses années, on a vu les paysages se refermer », explique Stéphane David, conseiller auprès de la chambre d'agriculture de Schirmeck, à dix kilomètres de là. Il poursuit : « Laisser les pins se développer sur les cimes avoisinantes peut représenter une perte de deux heures d'ensoleillement par jour pour les habitants. »

Jean-François Huckert perçoit des "indemnités compensatoires de handicap naturel". / Boris Granger

C'est pourquoi les communautés de communes des vallées de la Bruche et de Villé mènent depuis une dizaine d'années des « ouvertures paysagères », véritable travail d'élagage des friches longtemps délaissées : ce sont ces ouvertures qui sont justement entretenues par le troupeau de Jean-François Huckert. Au printemps, chèvres et vaches broutent les jeunes pousses de noisetiers et autres arbustes, même sur les surfaces les plus pentues, empêchant leur prolifération. « Pour nous, l'animal est indispensable, témoigne Jean-Philippe Kaes, maire de Grendelbruch, car le travail effectué par les troupeaux serait impossible à réaliser autrement. »

« Sans subventions, on ne serait pas là »

Lorsqu'en 1994, Jean-François Huckert reprend la ferme de son père, il n'hérite que de 30 hectares. En un peu plus de deux décennies, il rachète les terres des agriculteurs partant à la retraite, jusqu'à atteindre les 200 hectares. À 47 ans, l'éleveur possède désormais la plus grande exploitation en zone de montagne du Bas-Rhin. Pourtant, sur le papier, elle est loin d'être rentable : seul un quart de cette surface est mécanisable. Le reste se trouve sur des pentes pouvant aller jusqu'à 25 %, parsemées de rochers. Une contrainte naturelle qui engendre des coûts supplémentaires et pèse sur sa rentabilité.

Impossible pour lui, dans ce contexte, de concurrencer les exploitations situées dans les plaines. C'est pourquoi l'Union européenne soutient l'agriculture de ces zones dites « défavorisées ». « Sans subventions, on ne serait pas là », reconnaît Jean-François Huckert, éligible au « droit au paiement de base », comme tous les agriculteurs, indépendamment de leur situation. En 2015, cette subvention s'élevait en moyenne, pour les exploitants français, à 134 euros par hectare.

Mais le classement de sa ferme en zone de montagne ouvre aussi à Jean-François Huckert le droit de toucher une « indemnité compensatoire de handicap naturel » (ICHN). Cette subvention soutient les producteurs qui, comme lui, exercent leur profession dans des zones difficiles d'accès ou soumises à des contraintes naturelles spécifiques (altitude, pente, sol, climat). Son montant varie de 258 à 316 euros en zone de montagne. « Si les collectivités nous soutiennent, c'est parce qu'on a un intérêt pour la communauté », insiste Jean-François Huckert. Une carte des zones classées ICHN avait été établie en 1976, elle a été révisée pour la première fois en 2014 pour une validation en 2018. En Alsace, 129 communes bénéficient de l'ICHN « zone de montagne ».

Autre type de subvention touchée par l'agriculteur alsacien : l'aide aux Mesures agri-environnementales (MAE), destinée à compenser la perte de rendement représentée par des pratiques moins intensives et plus respectueuses de l'environnement. Pour l'agriculteur qui plaide pour une « stabilisation » des aides dans la future Politique agricole commune (PAC), c'est le maintien de ces MAE qui constitue précisément l'enjeu principal de la réforme.

Malgré ces aides substantielles, Jean-François Huckert n'arrive pas à dégager un revenu suffisant. « Notre exploitation n'est pas rentable, explique-t-il, on est obligés de se diversifier. » Jacqueline, sa sœur, a ouvert un « drive fermier » en 2016, où 25 producteurs commercialisent le fruit de leur travail en circuit court. « Nos agriculteurs jouent un rôle économique important pour le territoire », estime Jean-Philippe Kaes, maire (LR) de Grendelbruch.

Vente directe à la ferme, livraison à domicile et animation des marchés locaux font également partie du quotidien des exploitants de montagne. Ils permettent aux habitants des villages avoisinants de consommer local et d'économiser de longs déplacements vers les supermarchés, parfois situés à plusieurs dizaines de kilomètres. Ils jouent aussi un rôle important pour valoriser la région auprès des touristes. « Le local est important, explique Jean-Philippe Kaes, les consommateurs sont prêts à payer plus cher quand ils savent d'où vient le produit. »

Boris Granger et Nicolas Grellier, à Grendelbruch

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