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/ Charlène Personnaz

Depuis 1992, l’Union européenne certifie l’origine de 1 382 produits alimentaires, à travers des labels comme les AOP. Gage de savoir-faire, ils contribuent à la promotion d’une agriculture de qualité.

La gastronomie italienne à l’épreuve des marchés

Au nord de l’Italie, 44 filières de qualité se sont organisées pour défendre leurs produits sur les marchés et garantir les revenus des agriculteurs. Le pays est celui qui compte le plus grand nombre de labels.

Mario G.Z. est le dernier fabricant à produire uniquement du vinaigre balsamique AOP. / Mathilde Delvigne

« Dans mon acetaia (fabrique de vinaigre) , j’ai des barils qui vieillissent depuis 1905, quand mon grand-père les a remplis pour la première fois ! » Chez les Gambigliani Zoccoli, on produit du vinaigre balsamique depuis plus d’un siècle. La passion et les savoir-faire autour de « l’or noir », vendu jusqu’à 60 euros les 10 cl, se transmettent de père en fils. Ce produit est l’un des fleurons de l’Émilie-Romagne. Depuis 2000, il est protégé par un label européen : l’Appellation d’origine protégée (AOP).

Le cahier des charges de l’AOP impose un processus de fabrication précis et fondé sur les traditions, où le producteur apporte une forte valeur ajoutée. Les artisans transvasent à la main les louches de vinaigre de baril en baril, de plus en plus petits et faits de différents types de bois. Sans ajouter aucune autre substance, le moût de raisin cuit est vieilli pendant au minimum douze ans.

Mais autour de Modène un autre label européen existe pour le vinaigre balsamique : l’Indication géographique protégée (IGP). Moins cher et plus industriel, ce label s’obtient par un processus moins contraignant : l’ajout de vinaigre de vin est autorisé, le vieillissement dure minimum 60 jours et se fait dans des barils de même taille et de même matière. « Je pense être le dernier fabricant à produire uniquement du vinaigre balsamique traditionnel de Modène AOP. Tous les autres producteurs confectionnent également du vinaigre balsamique IGP parce que le marché est plus important et permet d’assurer des revenus plus réguliers», témoigne Mario Gambigliani Zoccoli, le président du consortium de vinaigre balsamique traditionnel de Modène AOP.

Le pari de la qualité

Le vinaigre balsamique est l’un des produits phare de la tradition gastronomique de l’Émilie-Romagne, aux côtés du jambon de Parme, de la mortadelle, de la coppa, et du parmesan. Ils sont désormais tous protégés par des labels européens. Située dans le nord de l’Italie, entre les Apennins et la plaine du Pô, la région a développé une agriculture haut de gamme, une manière de s’assurer une place sur les marchés concurrentiels.

L’Émilie-Romagne a fait le pari de la qualité. La région se place en leader national et européen pour les produits alimentaires certifiés : 44 labels, dont 19 AOP, représentant 15 % des 167 produits certifiés de l’Italie. Son modèle agricole dynamise la région autant au niveau de la rémunération des agriculteurs que de l’attractivité touristique. A tel point que la région est parfois surnommée la « Food Valley ».

Cette stratégie est soutenue activement par les collectivités territoriales. « Globalement, l’Union européenne protège les produits AOP sur les marchés mais ni la PAC ni sa réforme ne comportent des mesures spécifiques concernant la production AOP » , explique Simona Caselli. La conseillère régionale en charge de l’agriculture, de la chasse et de la pêche soutient les producteurs impliqués dans des filières de qualité. « La région propose des aides financières pour les filières AOP, car il n’y a rien de particulier venant de l’Union européenne », poursuit-elle, jugeant que les incitations et les aides aux producteurs ne se font qu’à l’échelle de la région.

« Une AOP sert à mettre d'accord des producteurs et des transformateurs »

Vidéo de Charlène Personnaz et Juliette Vilrobe

Beaucoup de producteurs se saisissent de l’AOP comme une opportunité pour augmenter leurs revenus. « Les agriculteurs AOP ou IGP gagnent généralement 10 % de plus que les non certifiés », analyse Roberto Fanfani, professeur d'économie politique à l’Université de Bologne.

A Reggio d’Émilie, dans le centre de la région, la famille Franceschini a spécialisé sa ferme dans la production de matières premières haut de gamme. Ils produisent du raisin de vignes de Lambrusco pour le vin pétillant AOP, ainsi que des porcs dont les cuisses servent au jambon de Parme AOP et du lait AOP de vaches rouges pour le parmesan. « Il y a dix ans, nous nous sommes posé la question d’agrandir notre étable, explique Luca Franceschini, nous avons décidé de ne pas le faire et de reprendre l’élevage de vaches rouges. » La qualité plutôt que la quantité : cet élevage permet à l’agriculteur de vendre son lait à un prix deux fois supérieur au lait non transformé.

En 2017, le chiffre d’affaires généré par les produits labellisés AOP et IGP en Emilie-Romagne était en hausse de 9 % par rapport à 2016. Pour autant, chaque filière connaît ou a connu des difficultés. « AOP n’est pas aussi synonyme de succès, beaucoup de labels sont en crise », souligne Nicola Bertinelli, président du consortium regroupant les producteurs de Parmigiano Reggiano. Ce fromage en est un exemple puisqu’il a vu son prix de vente au kilo passer sous la barre des neuf euros en 2015 alors qu’il était de 10,58 € en 2013. Les logiques de concurrence s’appliquent à tous les produits, qu’ils soient AOP ou non. « Ni les producteurs ni les consortiums ne peuvent fixer les prix de leurs produits, c’est le marché qui le fait en fonction de l’offre et de la demande », analyse Roberto Fanfani de l’université de Bologne.

Le parmigiano reggiano de montagne est le fromage AOP de montagne le plus vendu en Europe. Dans les Apennins, entre Bologne et Modène, le « roi des fromages italiens » produit par la coopérative Canevaccia fait vivre 11 personnes. Plus qu’une ressource économique pour la région, il est le gardien du territoire et du paysage.

/ Vidéo de Mathilde Delvigne

En réaction à la baisse des prix, le consortium du Parmigiano Reggiano a mis en place des quotas de production pour limiter l’offre et garantir les revenus de tous les acteurs de la filière. Mais certains producteurs n’acceptent pas les quotas et s’organisent pour les contourner. C’est le choix de Paolo Villani qui produit chaque année dans la province de Parme 6 000 meules de parmesan AOP. Cette année il fabrique 30 meules de plus, selon le même procédé, mais qu’il n’appellera pas Parmigiano Reggiano. Le producteur assume de contourner les règles, convaincu que son fromage n’est pas une menace pour l’AOP.

La menace viendrait plutôt des imitations industrielles produites en dehors de l’UE, où « les consortiums dépensent des fortunes en avocats », selon Simona Caselli, pour défendre leurs marques. Car si l’Union européenne protège efficacement les labels en Europe, hors du marché commun, rien n’est prévu pour leur reconnaissance. Le respect des AOP et IGP dépend alors des traités commerciaux bilatéraux. Au Canada par exemple, le jambon de Parme devait se vendre sous le nom de « Original prosciutto » car un autre fabricant canadien avait déjà déposé la marque « jambon de Parme ». Dans le traité de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, signé en octobre 2016, un compromis a été trouvé pour que le label AOP soit reconnu. Depuis, les ventes de jambon de Parme labellisé ont, selon Simona Caselli, augmenté de 49 % au Canada.

Juliette Vilrobe, en Émilie-Romagne

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