/ Mathilde Delvigne
Le projet de la future PAC propose de rémunérer les actions des agriculteurs en faveur de l'environnement. Une façon de soutenir le revenu des exploitants.
Agricultures d'intérêt général
Les autorités françaises proposent de rémunérer les services environnementaux rendus quotidiennement par les agriculteurs. Une idée qui ne fait pas l’unanimité parmi les Etats membres.
Cultiver la terre mais aussi protéger l’environnement. Alors que le budget de la prochaine Politique agricole commune (PAC) s’annonce une nouvelle fois en diminution, la France veut rémunérer les agriculteurs pour leur rôle dans la préservation de l'environnement. Les paiements pour services environnementaux (PSE) récompenseraient un certain nombre d'actions quotidiennes effectuées par les agriculteurs comme l’entretien des haies ou la mise en jachère des champs. « Il faut établir une nouvelle relation entre les agriculteurs et l’environnement », indiquait mi-décembre, lors d’un colloque au Sénat, Claire Brennetot, conseillère au ministère de l’Agriculture.
Depuis 2014, la PAC reconnaît les actions écologiques à travers plusieurs dispositifs. Des aides financières sont ainsi versées sous le nom de « paiements verts ». Elles représentent près de 30 % des subventions à la production perçues par les agriculteurs européens.
Les paiements verts sont conditionnés à trois critères. Tout d'abord, le maintien de prairies permanentes, c’est à dire des espaces non cultivés permettant le développement de la biodiversité. Les agriculteurs doivent dans le même temps diversifier leurs champs avec moins de trois cultures distinctes. Enfin, 5 % de la surface des exploitations doivent présenter un intérêt écologique avec des arbres ou des haies non traités aux pesticides.
La diversification des cultures a supprimé des prairies »
En 2017, un rapport de la Cour des comptes européenne déplorait le manque d’efficacité des paiements verts. Ceux-ci ont davantage servi à soutenir le revenu des agriculteurs qu’à véritablement encourager un changement de pratique. « Les fermes qui reçoivent des paiements verts ne sont pas toutes respectueuses de l’environnement », dénonce Aurélie Catallo, coordinatrice du mouvement Pour une autre PAC, un regroupement d'une trentaine d’associations comme Greenpeace ou WWF. La jeune femme déplore que la volonté de restreindre l'utilisation des pesticides ne s'applique pas à tous les champs. Le manque de cohérence des mesures environnementales de la PAC est également pointé du doigt par la FNSEA, principal syndicat agricole français. « La diversification des cultures a obligé un certain nombre d’agriculteurs à supprimer leurs prairies, souligne Henri Brichart, vice-président de la FNSEA. Ils ont préféré garder leurs champs de maïs de façon à avoir suffisamment de fourrage pour les bêtes. »
« Combler les failles des aides environnementales »
A côté des paiements verts, des mesures agro-environnementales et climatiques soutiennent le développement des territoires ruraux. Durant cinq à sept ans, elles ont vocation à compenser le coût de la transition des exploitations vers des pratiques vertueuses. « Les agriculteurs redoutent que l’aide ne suffise pas, note Louis Thirot, agroéconomiste des Chambres d’agriculture. Des aléas économiques ou météorologiques peuvent frapper leurs exploitations durant la période de transition. » En France, les pouvoirs publics concèdent que les objectifs environnementaux ne sont pas atteints aujourd'hui. Et ce malgré de conséquents moyens financiers débloqués, allant jusqu'à 900 euros par hectare. Les futurs paiements pour services environnementaux n'auront plus de limite dans le temps. L'Etat espère que cet aménagement apaisera les craintes des agriculteurs.
Aurélie Catallo juge que les aides écologiques de la PAC sont inefficaces. / Coralie Haenel
L'intérêt du gouvernement français pour les services environnementaux est d'autant plus grand qu'il y voit un moyen de pallier la fluctuation des prix née de la fin des quotas et des aides à la production. Les crises liées à la surproduction de lait obligent régulièrement la France à aider financièrement cette filière.
La question centrale du revenu des agriculteurs
Dans ce contexte, rémunérer les bonnes pratiques des agriculteurs suffira-t-il à les protéger des fluctuations des marchés ? « Les paiements pour services environnementaux apportent des compléments de revenu pertinents car ils sont justifiés par des pratiques d’intérêt général, répond Aurélie Catallo. Ils doivent être accessibles mais ambitieux pour que les paiements aient réellement des résultats sur le terrain. » De son côté, la FNSEA juge les subventions pour services environnementaux « intéressantes » pour le revenu des agriculteurs, mais le syndicat souhaite que leur financement n'entrainent pas une diminution des autres aides. Autrement dit, les paiements pour services environnementaux devront être financés par une augmentation du budget de la PAC. Pour l’État, il s’agit de valoriser les actions environnementales des agriculteurs, ce que le marché ne fait pas.
Le spectre de la distorsion de concurrence
Dans sa proposition de réforme de la PAC, la Commission européenne a repris l'idée des paiements pour services environnementaux. Elle s’inclura dans « l'Eco-scheme », le système qui doit remplacer les paiements verts actuels. Ce nouveau dispositif ne concernerait cependant que les agriculteurs volontaires. Les négociations ne font que débuter et bloquent encore sur le caractère obligatoire ou non pour les Etats de ces nouvelles mesures. « La France peut convaincre au niveau européen, estime Franck Montaugé, sénateur (PS) du Gers. Même si les intérêts ne sont pas du tout les mêmes, les paiements pour services environnementaux renvoient à des enjeux climatiques internationaux. » A l’heure actuelle seuls quatre pays sont favorables à l'obligation de proposer des paiements pour services environnementaux en Europe : le Danemark, les Pays-Bas, l’Espagne et la France.
Thibaut Chéreau, à Paris