/ Mado Oblin
De plus en plus d'agriculteurs européens changent leurs modes de production pour décrocher le précieux label biologique. Une promesse de revenus accrus qui est aussi source de nouvelles difficultés.
Mettre du bio dans son vin
Depuis dix ans, les vignobles français et allemands sont massivement passés au biologique, particulièrement en Alsace et dans le Baden. Mais sauter le pas vers une production naturelle demande beaucoup d'investissement aux vignerons.
David Koeberle, viticulteur à Saint-Hippolyte, à 20 km de Colmar, est en train de convertir les 27 hectares de son vignoble en bio. Lui qui pulvérisait jadis du glyphosate sur les pieds de vignes, s'est réorienté vers une agriculture moins productiviste mais de meilleure qualité. Il a troqué les désherbants et les pesticides contre de la bouse de corne répandue au sol, de la silice sur les feuilles pour activer la photosynthèse et des tisanes d'orties comme fertilisant. « On cherche à faire des sols vivants », résume le vigneron, qui a rompu avec des années de formation en viticulture conventionnelle.
Les 27 hectares du domaine Muller-Koeberle seront totalement bio en 2019. / Mado Oblin
Ce passage à une agriculture plus saine traduit une véritable tendance nationale : en dix ans, la surface viticole bio française a été multipliée par 3,5. De plus en plus d'exploitants se réorientent vers le bio, particulièrement en Alsace, où près de 15 % des vignobles sont biologiques, bien au dessus de la moyenne nationale de 10 %.
David Burckel, vigneron à Gertwiller, a sauté le pas il y a dix ans. « Il y a deux types de personnes qui s’orientent vers le bio : les opportunistes et les convaincus », résume-t-il. S'il se définit lui même comme un adepte du bio-dynamisme, d'autres vignerons ont fait le pari du bio surtout par intérêt financier. De l'autre côté du Rhin, Felix Scherer est vigneron à Bad Krozingen, près de Fribourg-en-Brisgau. Associé à son ami Michel Zimmer, ils ont commencé à convertir leurs 10 hectares de vignobles en 2012. Ils ont ainsi fait augmenter leurs prix ; ils proposent des bouteilles de 7 à 22 euros (contre 5 euros en moyenne avant la conversion), une montée en gamme bien accueillie par la clientèle.
Les vignerons Felix Scherer et Michael Zimmer devant leur vin. / Stefanie Ludwig
Investir davantage de temps et d'argent
Même si les agriculteurs européens sont accompagnés financièrement dans leur conversion au bio, abandonner la vigne conventionnelle reste coûteux. Les aides versées dans le cadre de la Politique agricole commune (PAC) compensent une partie des surcoûts et des manques à gagner occasionnés par la transition. Les viticulteurs peuvent toucher pendant cinq ans jusqu'à 350 euros d'aides par hectare converti. « Lorsqu'ils partent d'une agriculture conventionnelle, la conversion demande beaucoup de temps et de travail supplémentaire », explique Sylvia Ribeiro, chargée de mission à l'Organisation professionnelle de l'agriculture biologique en Alsace.
Principal obstacle : le manque de formation. Felix Scherer et Michael Zimmer regrettent de ne pas avoir été suffisamment sensibilisés à l'agriculture biologique pendant leurs études. Maitriser la météorologie, savoir endiguer naturellement les maladies comme le mildiou ou l'oïdium, passer à une vinification plus naturelle... Ils ont tout appris sur le tas. La conversion au bio demande aussi plus de travail hors des vignes, notamment des démarches administratives et la vérification de la provenance et de la certification des intrants naturels sur la liste européenne des produits utilisables.
Aller plus loin que le bio
Le domaine de David Burckel, vieux de deux siècles, entame la phase finale de sa transformation vers le Demeter, un label international de produits issus de l'agriculture biodynamique. Il promeut le respect de la terre, l'utilisation d'intrants bio et la prise en compte des influences des astres sur les plants. La viticulture biodynamique repose sur un travail des terres en équilibre avec la nature, et s'inscrit dans un désir de préservation de l'environnement : « Si on continue l'agriculture conventionnelle, dans 40 ans on n'aura plus de vignes. Passer au biodynamique, c'est aussi pour qu'on ne perde pas notre terre », conclut David Koeberle, qui veut aller vers un mode de culture aussi naturel que possible. Il se sent plus proche de ses plants : les pieds de vigne ne sont plus considérés comme des moyens de production mais comme des êtres vivants qu'il faut comprendre et traiter au cas par cas.
David Burckel et sa famille produisent plus de 60 000 bouteilles de vin biologique par an. / Mado Oblin
Le vignoble alsacien : une qualité incomparable
En France comme en Allemagne, les viticulteurs se lancent dans le bio pour faire des produits de qualité. Meilleur goût, plus de minéralité et de rondeur, utilisation minimale de sulfites, vinification plus facile... Les avantages gustatifs et environnementaux sont nombreux. Mais économiquement, la viticulture bio reste un modèle fragile : « Le bio peut induire jusqu'à 20 % de rendement en moins pour une charge de travail aussi importante qu'en conventionnel », poursuit Paulin Köpfer, président de l’association régionale d’Ecovin du Baden, qui rassemble un quart du vignoble bio allemand. Bien que la demande en produits bio ne cesse d'augmenter, la qualité du vin n'est pas la priorité pour les consommateurs allemands : « Les acheteurs regardent d'abord le cépage, le prix, et en dernier lieu le label », selon Paulin Köpfer. Côté français, Sylvia Ribeiro veut rassurer ceux qui voudraient se lancer : « Une grosse perte de rendement n'est pas systématique et le surcoût de production n'est pas toujours énorme. » David Burckel et David Koeberle, qui jouissent de la réputation des cépages de leur région, n'ont ainsi pas eu à augmenter drastiquement le prix de leurs bouteilles, et aucun d'eux ne veut voir le blanc bio devenir un produit de luxe. « L'objectif, résume David Burckel, c'est faire un bon produit, à un prix raisonnable et dont on peut vivre. »
Clémentine Rigot en Alsace, Melina Lang et Stefanie Ludwig en Allemagne