/ Annalina Ebert
En Europe, les campagnes sont désertées par les jeunes. Loin d’être un phénomène nouveau, l’exode rural met en péril des régions entières. En Roumanie le problème est pris très au sérieux par les autorités et les populations locales.
De père en fils : loin des terres, loin du cœur
Pourquoi les jeunes quittent-ils la campagne ? Que ressentent leurs parents ? Comment faire pour maintenir l'attractivité des villages ? Dans la région de Bucarest, la famille Gurlui est tiraillée entre ruralité et modernité.
Annalina Ebert, en Roumanie
Le casse-tête du développement rural en Roumanie
Avec l’aide des fonds européens pour le développement rural, les autorités roumaines tentent de lutter contre contre le dépeuplement des campagnes. Mais endiguer l’exode rural est difficile, tant ses causes sont profondes.
Cette maison abandonnée , dans le bourg de Belciugatele, elle côtoie des dizaines de bâtisses aux fenêtres condamnées et aux portes murées. / Mathilde Obert
A l’entrée du village de Belciugatele, dans le département de Călărași, les maisons à vendre se succèdent. « Les gens partent » , déplore Mihai Gurlui, maire depuis 2012 de ce village situé à trente kilomètres à l’est de Bucarest, la capitale roumaine. Le dernier recensement, effectué en 2011, comptabilisait 2 484 habitants. Soit 200 de plus qu’aujourd’hui. Un lent effritement : « Les anciens restent, ce sont les jeunes actifs qui s’en vont» , déplore le maire.
Belciugatele est confronté à une situation courante en Roumanie. Entre 2008 et 2016, 316 000 personnes ont quitté les campagnes, leur préférant la ville ou l’étranger. D’ailleurs, Mihai Gurlui relativise la situation de sa commune : « Un peu plus à l’est, vers Lehliu, il y a des endroits qui sont littéralement vides. » Le nombre de villages abandonnés dans le pays est estimé à 200. Cet exode rural s’accompagne d’un vieillissement inquiétant de la population agricole : l’âge moyen d’un exploitant en Roumanie est aujourd’hui de 65 ans.
Pour essayer d’inciter les jeunes à rester vivre à la campagne, les autorités roumaines peuvent s’appuyer sur les fonds de la Politique agricole commune (PAC) destinés au développement rural. Grâce à ces fonds, elles peuvent financer des projets d’investissement en impliquant collectivités locales et exploitants agricoles.
Depuis son élection en 2012, Mihai Gurlui est le témoin du lent effritement de la vie dans son village. / Annalina Ebert
Dans les départements de Călărași et de Ialomița, au nord-est de Bucarest, un projet de 300 millions de lei (environ 650 000 euros) doit ainsi être mis en place. L ‘objectif : moderniser et centraliser le tout-à-l’égout et l’eau courante dans les secteurs ruraux les plus reculés. « Dans plusieurs petits villages autour de Belciugatele, certaines habitations ont des systèmes de tout-à-l’égoût artisanaux et l’eau courante n’a pas encore remplacé les puits » , constate Mihai Gurlui. Pour les petits villages de Cândeasca, Mataraua, ou encore Cojești, ce projet est « vital ».
Chef d’orchestre du développement rural
C’est depuis ses bureaux de Bucarest, situés au sein du ministère de l’Agriculture et du développement rural, que Bogdan Alecu dirige depuis 2014 le LEADER (Liaison entre actions de développement de l’économie rurale). Il coordonne 239 GAL (Groupes d’action locale). Réparties sur toute la Roumanie, ces entités réunissent autorités locales, citoyens et entreprises pour dessiner les contours des projets de développement.
« Ces groupes font le lien entre les campagnes et les programmes de développement rural comme le LEADER, explique Bogdan Alecu. Ils nous permettent d’apporter des réponses adaptées à des problèmes qui sont parfois propres à une région. » Les GAL sont par ailleurs un lieu important de création d’emplois. « 2 000 personnes qualifiées y travaillent. Ca permet de fixer les savoir-faire dans les campagnes » , s’enthousiasme Bogdan Alecu.
Entre 2014 et 2020, les services de Bogdan Alecu ont distribué 9,3 milliards d’euros de la part de l’Union européenne et de l’Etat roumain. « C’est beaucoup mais c’est loin d’être suffisant, précise Bogdan Alecu. On a déjà besoin de neufs milliards rien que pour aménager et entretenir les routes agricoles. Avec ce qui reste, on a bien du mal à s’occuper des problèmes d’éducation ou de santé. »
Le mauvais état des infrastructures est une véritable épine dans le pied du développement rural en Roumanie. « C’était un gros problème il y a vingt ans, et aujourd’hui il n’est pas tout à fait résolu », constate Cosmin Salasan. Pour ce spécialiste du développement rural à l’université des sciences agricoles de Banat, à Timișoara, c’est ce retard qui empêche aujourd’hui une véritable convergence de la Roumanie avec les pays d’Europe de l’Ouest.
Obtenir un financement, le parcours du combattant
A Belciugatele, les deniers européens ont déjà permis de rénover l’école primaire. Désormais, la mairie aimerait s’attaquer au réseau routier de la commune. Mais pour remplir la candidature de financement, il faut répondre à un épais cahier des charges et effectuer des relevés très précis des infrastructures concernées. « Les employés de la mairie ne sont pas qualifiés pour faire ce travail de géomètre, nous devons faire appel à des consultants » , explique Mihai Gurlui. En plus du coût occasionné, réaliser ces mesures prend du temps, ce que déplore le maire : « Il arrive souvent que les mairies déposent leurs candidatures de financement trop tard à cause de ces contraintes. »
Difficulté supplémentaire : Pour bénéficier d’un soutien à l’investissement, il faut être en mesure d’avancer soi-même les fonds nécessaires. Cosmin Salasan est très critique de ce mode de fonctionnement : « Parfois il peut s’écouler trois à six mois entre la réalisation d’un projet et son financement par les fonds européens. » Une condition souvent impossible à remplir pour les petites collectivités.
D’autant que, comme le rappelle Mihai Gurlui, « le LEADER n’octroie des financements qu’à des entités administratives de plus de 2 000 habitants » . Pour contourner ce problème, cinq petits villages se sont rassemblés autour de Belciugatele pour faire leurs demandes de financement.
Depuis plus de dix ans, les autorités roumaines et européennes tentent de résoudre le problème de l’exode. Sans succès pour l’instant. / Annalina Ebert
Un volet économique nécessaire
Mihai Gurlui reste convaincu que le soutien de la PAC est essentiel pour maintenir une activité agricole à Belciugatele et lutter contre l’exode rural. De son point de vue, les subventions directes accordées aux agriculteurs restent le meilleur outil : « Mais il y a trop d’inégalité entre les pays occidentaux et ceux de l’Est » , déplore-t-il. En 2018, la France a reçu 7,4 milliards d’euros de paiements directs. A ce titre, 1,8 milliard d’euros ont été versés à la Roumanie. « C’est une situation absurde. Que ce soit en France ou en Roumanie l’hectare fait la même taille ! » , s’indigne l’élu. Davantage de convergence entre les Etats membres, c’est l’un des points sur lesquels s’est engagée la Commission européenne pour la prochaine PAC.
A Bucarest, Bogdan Alecu porte une attention toute particulière au développement économique des villages. Il met un point d’honneur à y soutenir l’implantation de services non-agricoles : « Aujourd’hui l’agriculture se mécanise de plus en plus et des emplois disparaissent parce que c’est plus pratique d’utiliser des machines. » Le LEADER essaie de faire en sorte que les travailleurs qui perdent leur emploi parviennent à rester actifs économiquement dans les campagnes. Un défi colossal, dans un pays où en 2016, près d’un quart de la population active travaillait dans l’agriculture et où la moitié de la population vivait en zone rurale.
Matthieu Le Meur, en Roumanie